L’éclairage électrique avant l’ampoule

Si la première expérimentation d’ampoule électrique publique par  James Bowman Lindsay remonte à 1835, son perfectionnement et son industrialisation sont grandement dus à Edison et sa compagnie presque un demi-siècle plus tard. En 1881, Thomas Edison est une des stars de la 1ère exposition internationale d’Electricité de Paris.

1881 – Exposition internationale d’Electricité de Paris

Thomas-Edison-journal-expo-int-elec-1881-ParisA cette occasion, un des grands événements se passe à l’Opéra (Garnier) : « La scène, le lustre de la salle, des rangées de lustre du foyer, le grand escalier, la couronne de globes lumineux placés autour de la salle ont été éclairés par l’électricité et ont donné de magnifiques résultats. »

Les grands enjeux de l’exposition sont l’usage domestique de l’électricité et la coordination des différents acteurs.  L’aventure de l’éclairage électrique au théâtre ne débute cependant pas à cette date ; au sommet de l’avenue, tel la lanterne du phare, l’Opéra indiquait déjà le cap.

 

Exposition universelle de 1878

« Le 31 mai 1878, à neuf heures du soir, trente-deux globes de verre émaillé, placés entre les réverbères le long de l’avenue de l’Opéra, s’allumèrent instantanément et projetèrent autour d’eux une douce et brillante lumière blanche : les réverbères à gaz ressemblaient à des lampes fumeuses et les rues environnantes paraissaient plongées dans l’obscurité. »

En 1878, à l’occasion de l’Exposition universelle l’avenue et la place de l’Opéra étaient éclairés à l’aide de l’électricité – l’ampoule à incandescence y était précédée par la lampe à arc –  plus précisément par  la bougie Jablochkoff.

Bougie de JablochkoffL’arc électrique est découvert en 1808 par le chimiste anglais Sir Humphry Davy : deux crayons de charbon, mis en contact par leur extrémité sont branchés chacun à un pôle d’une batterie électrique ; une fois les extrémités des charbons légèrement écartées : un arc lumineux se forme. L’extrémité du crayon positif produit 85 % de l’éclairage, 10 % vient de son négatif et 5 % de l’arc. Un trop grand écartement rompt l’arc.

Les crayons se consumant en produisant la lumière, pour maintenir l’arc il faut compenser l’écart qui se crée entre les extrémités. Des solutions mécaniques ou électromécaniques sont mises au point.

L’idée géniale de Jablochkoff a été de mettre en parallèle les deux crayons avec entre eux un isolant qui fondait sous l’effet de la chaleur de l’arc. Pour que les crayons de même gabarit se consument à même vitesse, le courant appliqué était alternatif.

Ces mêmes bougies seront utilisées pour l’éclairage des rampes de l’Opéra-Comique et du Théâtre du Châtelet. Elles avaient une durée de vie de 1 h 30. Chaque candélabre de l’avenue de l’Opéra était équipé de six bougies qu’un commutateur actionnait à tour de rôle.

 

L’Opéra s’électrise

Coiffant l’avenue, l’Opéra était encore plus en avance sur l’emploi de l’électricité.  L’éclairage de sa façade  avait précédé de peu la mise en lumière de sa place et de son boulevard. Mais plus avant en 1846 un arc électrique est mis en œuvre pour créer le 1er effet électrique sur scène en France.

Pour promouvoir l’usage de l’électricité au théâtre, voici ce qu’écrivait  M. Julien Duboscq.

lampe a arc dans un appareil destinéà produire l'effet du soleil levant« [la lumière électrique] débuta à l’Opéra dans la première représentation de Prophète [pour] produire un effet de soleil levant, elle s’en tira avec succès […]. Sa cause était gagnée ; les lampions et les lumignons de tous calibres furent mis de côté, et un service d’électricité [fut créé]. Depuis […] il est rare qu’un ballet ou un opéra […] ait été monté sans l’intervention d’un effet quelconque de lumière électrique.

Les théâtres du premier ordre suivirent bientôt l’impulsion donnée par l’Opéra, et l’arc voltaïque passa définitivement dans les coutumes scéniques. »

Deux ans plus tôt, en 1844, la première tentative d’éclairage public à Paris est tentée place de la Concorde : une source à 3 m alimentée par une batterie de pile déplait instantanément : jugée trop aveuglante et trop coûteuse. D’autres tentatives d’éclairage public feront des fours {définition} à l’opposé de la popularité croissant de l’emploi de l’arc électrique sur la scène de l’Opéra.

La lampe à arc Foucault – Duboscq

duboscq-107Avant la bougie Jablochkoff, Jean Bernard Léon Foucault, physicien astronome, et Julien Duboscq, ingénieur opticien,  mettront au point différentes versions de régulateurs pour conserver la distance entre les deux charbons qui sont placés, alors, dans le prolongement l’un de l’autre.

En 1863, la lampe à arc Foucault-Duboscq comprend un mécanisme d’horlogerie assurant un mouvement de rapprochement symétrique, d’éloignement et d’arrêt des deux bâtons– ainsi que l’autoallumage. Pour ce faire ils sont fixés à des crémaillères animées par des roues crantées tournant en sens opposé, le tout régulé par un électro aimant qui permet l’amorce.

M. Duboscq, propriétaire de la maison éponyme, appelé par l’Opéra pour concevoir leur premier effet, y sera responsable du service de l’éclairage électrique. La lampe à arc sera la base des appareils qu’il créera pour l’Opéra.

L’intensité lumineuse produite surpasse celle des moyens d’alors. Elle permet de réinventer les effets. Son premier emploi sera dans des effets exceptionnels (levé de soleil, arc-en-ciel, flash d’éclair). Les dispositifs existants pour diriger les sources omnidirectionnelles sont adaptés à la lampe à arc et son régulateur.

 

« L’appareil » ancêtre du projecteur

lampe a arc dans un appareil

« Le courant partant de la pile est transmis à l’appareil produisant sur le théâtre les différents effets exigés par la mise en scène. Cet appareil se compose d’une lampe à régulateur automatique placée dans une lanterne de bois munie d’une lentille et d’un réflecteur de verre argenté. Cet appareil est disposé de façon à prendre toutes les inclinaisons exigées pour la production des effets. »

Le miroir pouvait être déplacé dans la profondeur.


 L’aïeule de la cycliode

lampe a arc dans un appareil composé d'un grand réflecteur sur support articulé« Lorsqu’il s’agit d’éclairer de très larges surfaces, des travaux de nuit, un pan de mur, un jardin, etc. on peut employer l’appareil représenté (ici). Un support articulé dans tous le sens sur lequel est placé le régulateur ; sur un montant derrière est fixé dans une coulisse un réflecteur de verre argenté de grands dimensions (30 centimètres de diamètres). »

Par travaux de nuit, vous pouvez imaginer un appel du pied pour équiper les travaux haussmanniens : l’application de l’éclairage à l’Opéra est un soutien à son application hors les murs (ci-dessous, Paris, rue de Rivoli).

Travaux nocturnes des constructions de la rue de Rivoli, éclairés par la lumière électrique, L'Illustration 1854


 Les premières poursuites

lampe a arc - appareil destiné à suivre un personnage« La mise en scène exige souvent qu’un rayon de lumière suive un personnage, tel que dans Hamlet, Faust, etc. ; les appareils que nous avons cités déjà sont trop volumineux et trop lourds pour être appliqués à cet usage. C’est pourquoi nous avons construit des appareils plus légers […].
L’appareil se compose d’une lanterne de bois ou tôle, à laquelle est attachée la lampe électrique ; des lentilles éclairantes permettent de concentrer en un point un faisceau de rayons lumineux qu’on peut élargir à volonté ; un diaphragme particulier limite le champ d’éclairement.
Dans cet appareil le rapprochement des charbons de la lampe électrique se fait à la main. »


La fontaine lumineuse

lampe a arc - dispositif de la fontaine lumineuseEn jouant sur le principe de la réflexion totale, une fontaine lumineuse fera son apparition sur scène lors du ballet Elia et Mysis en 1853. Sur un Faust l’usage de lentilles de verre colorées permis le changement régulier de la couleur du jet. Au second acte Méphistophélès fait jaillir à volonté des liquides différents. Nouvelle application hors les murs : en 1867 M. Dubosq installera dans le jardin des Arts et Métiers une fontaine verticale sur le même principe. De nos jours beaucoup de fontaines et jets d’eau sont éclairés selon ce principe.


L’arc en ciel

lampe a arc et arc en cielLors de la création de Moïse, « on éclairait par transparence, au moyen de lumières vives [non électrique], une toile sur laquelle on avait peint l’arc en ciel ; mais ce procédé, trop imparfait pour offrir l’illusion [..] avait aussi l’inconvénient de laisser l’arc trop obscur pour permettre l’éclairage complet de la scène. On produisait donc [dans] une demi-obscurité […] un contre-sens physique, un arc en ciel de nuit. »
Lors de la reprise de Moïse en 1860, M. Duboscq met au point un appareil utilisant un prisme pour projeter l’arc-en-ciel sur l’avant de la toile. L’arc électrique est alimenté par une pile de 100 couples Bunsen ; l’appareil est placé à 5 mètres du rideau. Tout le système optique est adapté et fixé dans l’intérieur d’une caisse noircie qui ne diffuse aucune lumière à l’extérieur. « L’arc en ciel apparaît très lumineux, même quand la scène est en pleine lumière. »


 Le miroir à éclairs

lampe a arc - miroir magique à éclairsImiter les bruits de tonnerre au théâtre est bien maîtrisé mais la technique pour simuler les flashs d’éclair sera révolutionnée avec l’arc électrique. La difficulté réside alors dans la reproduction rapide du phénomène.

Julien Duboscq met au point un miroir portable avec une lampe à arc : le charbon supérieur est fixe, l’inférieur lui est mobile sur une base métallique. Quand le courant est coupé les pointes sont en contact grâce à un ressort. Dès que le courant passe, un électroaimant à l’arrière du miroir attire vers le bas le charbon mobile, l’arc se forme.  A l’origine l’appareil de faible dimension était destiné à être utilisé sur scène par un personnage – la première fois ce fut  au théâtre des Variétés dans les Voyages de la Vérité. Son premier nom miroir magique laisse deviner son premier usage par la suite il deviendra le miroir à éclairs.


 L’effet soleil levant

lampe a arc dans un appareil destinéà produire l'effet du soleil levant« L’appareil se compose d’un grand réflecteur parabolique fixé sur un support de bois sur lequel on adapte la lampe électrique. Les rayons, rendus parallèles par le réflecteur, sont concentrés sur un écran destiné à représenter le disque solaire. »

L’appareil tout entier, convenablement masqué par les décors, s’élève lentement derrière l’écran situé en fond de scène, de sorte que l’astre du jour semble monter progressivement au-dessus de l’horizon.

La forte intensité lumineuse a dû pour la première fois rendre la sensation de la puissance solaire et la sensation d’éblouissement de manière convaincante pour le public de la Monarchie de Juillet.

La production d’électricité maison

De part et d’autre de la scène de l’Opéra, entre chaque plan, une prise est disponible, sous la scène, au niveau de la scène et au-dessus du cintre – là deux ponts permettent de fixer les appareils. Toutes ces prises sont alimentées par un système de régulateurs qui fait le lien avec la production d’électricité elle-même assurée sur place.  Pour le premier effet en 1846, soit quarante ans avant les premières concessions, ancêtres d’EDF, l’Opéra s’équipera  en sous-sol d’un ensemble de batterie.

Salle des batteries de piles Bunsen dans le sous-sol de l'Opéra à Paris

Le succès aidant, en 1877 au rez-de chaussée à côté de la scène dans une grande salle donnant sur la cour, il y a comme un air de laboratoire. Sur huit grandes tables, recouvertes de plaques de verre, trônent des piles Bunsen (1,9 Volts) mises en batteries ; chaque pile est alimentée en eau et acides par une tuyauterie adaptée ; plus loin une grande cuve de 1 000 litres permet de préparer les eaux acidulées assurant le niveau des piles. Pour condenser les dangereuses émanations de vapeurs nitriques des soucoupes d’ammoniaque sont placées à proximité. Chacune des huit tables peut alimenter une source lumineuse, ou par addition augmenter l’intensité d’une source.

En 1881 il est fort probable que l’Opéra produise son électricité à l’aide des toutes récentes dynamos Gramme.

Autres lieux, autres effets

L’intensité lumineuse de l’arc rejetée lors des premiers essais d’éclairage public va être exploitée pour des trucs au-delà de la reproduction des effets exceptionnels.

production_de_spectre_au_theatre - Electricité au théâtre par Lefèvre JulienDès 1847 Henri Robin dans son petit théâtre du faubourg du Temple fait une première tentative de « spectre impalpable ». En sous-sol un comédien est éclairé vivement par une lampe placée derrière un 1er miroir sans teint incliné à 45°. Son reflet se réfléchit dans un second miroir qui lui est parallèle et au-devant de la scène. Etant lui-même sans teint, le public voit donc à la fois le 2d reflet et ce qui est sur scène. Le spectre apparaît dès que la lampe est allumée. Le spectre sera repris et amélioré en 1863 au théâtre du Châtelet (Le secret de miss Aurore), puis en 1868 au Théâtre de l’Ambigu (La Tzarine).

En 1869, imaginez-vous entrer dans un théâtre circulaire avec tout autour de la scène un rideau de scène composé de lames métalliques face réfléchissante côté scène. L’éclairage est allumé dans les gradins, ainsi vous voyez votre entourage et votre vis-à-vis au-delà de la piste. L’éclairage bascule, durant tout le spectacle seule la scène sera éclairée, vous ne voyez plus ni votre entourage ni votre vis-à-vis, vous êtes totalement plongé dans la scène.

Ces deux astuces scénographiques exploitent l’intensité toute nouvelle alors de l’éclairage électrique.

Les théâtres d’ombres chinoises seront aussi révolutionnés – mais est-ce à partir de la lampe à arc ? Les ombres françaises en couleur de Caran d’Ache finiront éclairées par des ampoules.

L’arc avant le filament

L’ampoule va permettre l’utilisation domestique de l’éclairage électrique. Si l’ampoule est couramment associée à Edison, ce dernier vient avec une solution complète lors de l’exposition de 1881. Sous la pression de l’opinion publique la ville de Paris accordera sept ans plus tard des concessions pour la production et la distribution d’électricité – Continental Edison sera de la partie.

Si la lampe à incandescence va moderniser l’usage de l’éclairage au théâtre, la lampe à arc n’a pas été abandonnée pour autant, pour preuve la poursuite Clémançon {lien vers article} et les projecteurs HMI sont de la famille des lampes à arc.


Chronologie

1809 – Arc électrique
1830 – Monarchie de Juillet
1835 – Ampoule électrique
1844 – Premier essai d’éclairage public à Paris, place de la Concorde.
1846 – 1er effet lumière électrique à l’Opéra
1848 – 2de République
1870 – Guerre Franco-prussienne
1878 – Exposition Universelle à Paris – éclairage public électrique de l’avenue et de la place de l’Opéra (mais aussi : la Statue de la Liberté, le téléphone, le Braille)
1881 – Exposition Internationale d’Electricité à Paris – éclairage électrique domestique de l’Opéra
1888 – Premières concessions de production et distribution d’électricité à Paris


Sources

Extraits du Journal de l’exposition – édition du 23 octobre 1881 (source : Gallica)
Extraits du Catalogue des appareils employés pour la production des phénomènes physiques au théâtre (Edition 1864) (source CNAM)
Extraits du Catalogue des appareils employés pour la production des phénomènes physiques au théâtre (Edition 1877) (Source CNAM)
Extrait de « A travers l’Electricité » de Georges Dary paru en 1906 (Source : l’association « Mémoire de l’Electricité du Gaz et de l’Eclairage Public » www.mege-paris.org)
L’Électricité au théâtre, par Julien Lefèvre – édition 1894 (Gallica)


Aller Au-delà

loupe_64  L’expression faire un four signifie ne pas rencontrer le succès, échouer. Cette expression provient du jargon du théâtre du XVIIème siècle. À l’époque, on faisait un four si le théâtre était plongé dans l’obscurité car cela signifiait qu’il y avait peu ou pas de spectateurs. D’ailleurs, s’il y avait peu de spectateurs, on éteignait pour inciter ces derniers à partir! À quoi bon jouer pour une poignée de personnes… On associait le four au manque de lumière comme dans l’expression il fait noir comme dans un four (peu utilisée aujourd’hui).
Source : Le Monde
A voir aussi  : Le billet de la marmotte

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loupe_64 Une ampoule qui fonctionne depuis 1901

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loupe_64Les ombres de Caran d’Ache (du russe karandach (карандаш), mot signifiant « crayon »  et issu du turc kara taş : pierre noire)

loupe_64 Sir Joseph Wilson Swan Joseph_Wilson_Swan_2déposa un des premiers brevets validant l’invention d’une ampoule électrique – son filament se consumait rapidement, le vide dans l’ampoule n’était pas parfait. Sa maison fut la première au monde à être entièrement éclairée par des ampoules.

 

Author: Rui Serge A.B.